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Polémique de l’OGL : on fait le point

Ces dernières semaines, l’univers de Donjons et Dragons a subi un tremblement de terre. La bataille entre la communauté de fans et Wizards of the Coast vient enfin de prendre fin. L’éditeur a décidé de laisser l’OGL “intouchée” !

OGL : késako ?

Si tu suis un peu l’univers de Donjons et Dragons (et du jeu de rôle en général), tu as très certainement entendu parler de la polémique qui a secoué la communauté pendant tout ce mois de janvier. En effet, un document provenant de Wizards of the Coast (WotC) – l’éditeur de la Donjons et Dragons – a fuité, remettant en cause de nombreux principes jusqu’ici bien installés.

Ce document – non officiel selon Wizards of the Coast – a porté le doux nom d’OGL 1.1. Voici en gros son principe :

  • Annuler et remplacer l’OGL 1.0a (avec effet rétroactif)
  • Reporter ses revenus à Wizards of the Coast
  • Devoir verser 25% des revenus lorsque ceux-ci atteignent 750 000$ par an

Wizards of the Coast se permet aussi de s’approprier le contenu – de manière gratuite – de chaque créateur. Pire encore, WotC pourrait publier ce contenu sous son propre nom.

👉 Historique de l’Open Gaming Licence

Mais pour mieux comprendre cette révolution, il faut d’abord comprendre ce qu’est l’OGL (ou Open Gaming Licence). Il s’agit d’un texte légal qui permet de définir ce qui est possible de faire avec le contenu publié sous cette licence. C’est un peu l’équivalent de Créative Common, mais pour le jeu de rôle.

Historique de l'Open Gaming Licence

Publiée à la sortie de la 5e édition de Donjons et Dragons sous la version de 1.0a, l’OGL a été créée pour permettre le développement de l’univers de Donjons et Dragons. Elle est voulue comme étant non modifiable et éternelle.

Ce sont – en tout cas – ces arguments qui ont permis son adoption par une large communauté de créateurs, bien au-delà de l’univers de D&D. Par exemple, on retrouve du contenu publié sous OGL 1.0a dans des jeux de rôle comme Traveler, Pathfinder ou encore, Chtulhu.

À noter que l’OGL a servi à la publication du SRD (Systeme Reference Document). Pour simplifier, le SRD est la version gratuite et publique de Donjons et Dragons.

📌 Matériel Donjons et Dragons : les accessoires indispensables

👉 Quel était le problème de cette OGL 1.1 ?

S’il n’y en avait qu’un seul… Il faut d’abord noter que l’OGL 1.1 (puis de l’OGL 1.2 qui a été proposée par la suite) était très loin de sa version originale.

Coup de pression juridique

Wizards of the Coast comptait sur sa puissance à la fois financière et juridique (puisqu’aux États-Unis, un procès coûte très cher) pour mettre la pression et éviter une contestation de sa nouvelle licence devant les tribunaux.

Surtout en sachant que ces procès pourraient durer un certain temps (donc entraînant beaucoup de frais), même si WotC avait peu de chances de gagner. En effet, la licence 1.0a n’inclut aucune norme permettant de pouvoir la modifier.

Pour donner un exemple concret, c’est ce qui est arrivé aux États-Unis avec la célèbre musique Happy Birthday. Comme l’explique un article publié par Le Monde en 2013, cette chanson a été pendant des années protégée sous copyright par la société de production Warner-Chappell. Permettant ainsi à celle-ci de réclamer jusqu’à 2 millions d’euros de bénéfices par an. Jusqu’à ce qu’une autre société s’oppose à ce copyright, estimant que la chanson faisait partie du domaine public. Un procès qui a été perdu par Warner-Chappell…

Devoir verser des royalties à Wizards of the Coast

Ensuite, l’OGL 1.1 imposait aux créateurs des règles draconiennes et intenables au niveau commercial. Le fait de reporter ses revenus à Wizards of the Coast était déjà un problème.

Vient s’ajouter le fait que la société se permettait de prélever 25% des revenus au-delà des 750 000$ annuels (oui oui, tu as bien lu : revenu, pas bénéfices).

Ce qui rendait quasiment impossible toute commercialisation sans un accord spécifique – hors OGL – avec Wizards of the Coast. Soyons réalistes : c’était bien l’idée derrière cette version 1.1.

Une modification possible à tout moment

Par ailleurs, la firme pouvait modifier à tout moment la licence. Seule obligation : devoir spécifier ce changement dans un délai de 30 jours. Wizards of the Coast – et surtout Hasbro – pouvait alors décider de modifier le pourcentage sur les revenus perçus quand ils le voulaient. Sans que les créateurs n’aient le moindre mot à dire là-dessus.

Pour une licence qui se veut non modifiable DU TOUT (à la base), il faut avouer que c’était mal barré.

Une récupération du contenu des créateurs

Enfin, clou dans le cercueil, la licence permettait à Wizards of the Coast de reprendre, mettre sous licence, réutiliser et modifier tout contenu publié sous l’OGL sans aucune contrepartie.

Tu restes bien propriétaire de ton contenu. Mais dans les faits, tu n’as plus aucun droit dessus. Pire encore, tu n’obtiens aucun revenu, aucunes royalties. Rien du tout. Difficile pour un professionnel de travailler dans ces conditions, non ?


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👉 OGL 1.2 : faible tentative de réparer les pots cassés

Pour tenter de rattraper le coup face à la fureur de la communauté et des créateurs, Wizards of the Coast a proposé une nouvelle version de la licence : l’OGL 1.2.

Celle-ci retirait toute mention de déclaration de revenu et de royalties, tout comme le fait que Wizards of the Coast soit en capacité d’exploiter un contenu qui n’est pas le leur. Néanmoins, l’OGL 1.2 restait problématique.

Un droit moral

Tout d’abord, Wizards of the Coast s’accordait un droit de regard moral sur le contenu publié. Par exemple, si tu publies du contenu sous l’OGL 1.2, WotC peut annuler tout simplement ta licence si des éléments de ce contenu ne lui conviennent pas.

On peut voir l’effet de ce type de clause sur Youtube par exemple, où il est désormais interdit de jurer dans les vidéos. Et qui peut alors décider de démonétiser/bloquer/supprimer ta vidéo comme bon lui semble.

Contrat entre Wizards of the Coast et les créateurs

Ensuite, la licence permettait uniquement un contrat entre Wizards of the Coast et l’auteur du contenu. Or, dans le paysage actuel des jeux de rôle, un créateur de contenu peut reprendre le contenu d’un autre créateur qui peut être lié (ou non) à Wizards of the Coast.

On obtient donc une sorte d’arbre dont seules les racines sont liées à WotC. Chaque branche étant un créateur à part entière. En modifiant cet état de fait, WotC abat tout simplement l’arbre.

Que se passe-t-il donc pour les dizaines de ressources où les auteurs reprennent le contenu d’autres auteurs, sans passer par Wizards of the Coast ? Il était là, le cœur du problème, et ce qui a poussé certains à qualifier ces modifications de l’OGL de “Saccage Culturel”.

Annulation de la 1.0a

Enfin, Wizards of the Coast s’entêtait à vouloir annuler la 1.0a, même si tu pouvais continuer à publier du contenu existant sous 1.0a. Oui, cela ne fait aucun sens.

Un autre élément qui n’aurait guère tenu devant une cour de justice. Dernier trolling de la part de la firme : elle se permettait de promouvoir le fait que la 1.2 était “immuable”.

Sauf que lorsqu’on lisait le document, immuable était définie comme “le contenu publié sous cette licence, restera sous cette licence”. Ce n’était donc clairement pas la licence qui était immuable.


La réaction des éditeurs/créateurs

La réaction des éditeurs et créateurs

Avec un tel impact sur la communauté du jeu de rôle, les réactions ne se sont pas faîtes attendre, tant de la part des éditeurs et créateurs de contenu, que de la part des joueurs eux-mêmes.

Même si cette OGL 1.1 concernait toute la communauté de Donjons et Dragons, il faut comprendre qu’elle avait surtout un impact sur les éditeurs et les créateurs de contenu utilisant l’OGL 1.0a (c’est-à-dire, la licence jusqu’ici utilisée, officielle et normalement immuable).

On compte des licences très importantes comme Pathfinder (avec l’éditeur Paizo), Cthulhu (avec l’éditeur Chaosium) ou encore Travellers T20 (par GDW) étant publiées sous cette OGL 1.0a. Et qui seraient directement impactées par la mise en place de l’OGL 1.1 (et plus tard, l’OGL 1.2).

C’est donc sans compter une réponse très rapide des éditeurs/créateurs. D’un côté, avec la licence ORC, d’un autre côté avec le mouvement #OpenDnD.

👉 La licence ORC

Paizo et Chaosium n’ont pas tardé à se rallier à Kobold Edition sur un projet d’Open RPG Creative Licence. Le nom de ce projet : la licence ORC. Il a pour but de permettre à chaque éditeur de jeu de rôle de pouvoir proposer ses propres documents de référence de règles ouvertes uniques. Et que chacun serait alors libre d’utiliser à sa guise.

Une manière de contrer l’OGL 1.1. La licence ORC n’appartiendrait ainsi à aucun éditeur ou entreprise éditant/commercialisant du jeu de rôle, mais à un cabinet juridique spécialisé dans la propriété intellectuelle et représentant plusieurs éditeurs (dont Paizo, par exemple).

Ainsi, le 13 janvier 2023, Paizo annonçait ainsi :

“Nous annonçons notre plan pour une licence ouverte de système de jeu de rôle neutre en collaboration avec d’autres compagnies.”

Autre éditeur affichant clairement son désaccord envers la décision de Wizards of the Coast : le français Black Book Édition qui s’est exprimé sur la situation :

“Le moment est venu pour Black Book Éditions de respirer un grand coup et d’exprimer avec force que nous soutenons sans réserve nos partenaires de Paizo Publishing, et tous les autres éditeurs associés à leur annonce (Kobold Press, Green Ronin, Chaosium et bien d’autres) dans leur projet de nouvelle licence libre, perpétuelle, irrévocable et neutre en termes de système de règles.”

👉 Le mouvement #OpenDnD

OpenDnD

En parallèle de cette licence ORC, un site internet voit le jour. On y trouve une lettre ouverte à Wizards of the Coast. Cette lettre demandant la non-modification de l’OGL. Complétée d’un hashtag sur les réseaux sociaux : #OpenDnD.

Le logo de One D&D est repris et modifié (le “One” est remplacé par “Open”). Bref, l’agitation sur les réseaux sociaux s’est amplifiée de jour en jour, attisée par le silence de WotC.

Une nouvelle rumeur fait son apparition : le seul indicateur surveillé par Wizards of the Coast serait le nombre d’abonnements à D&D Beyond. Cette rumeur déclenchera un nouvel appel à l’annulation de l’OGL 1.1 et un boycott est lancé par la communauté.

Pour encourager les joueurs à exprimer leur mécontentement, certains créateurs de contenu ont même distribué gratuitement leurs créations en échange d’un simple screen de l’annulation d’un abonnement D&D Beyond. Largement suivi, le mouvement força finalement Wizards of the Coast à sortir du silence.


La réaction des joueurs

La réaction des joueurs

En plus du mouvement #OpenDnD et de la licence ORC pour les éditeurs officiels, les joueurs ont eu leur propre manière de montrer leur désaccord. Entre autres, un désabonnement massif sur l’application Donjons et Dragons de Wizards of the Coast : D&D Beyond.

Sur les réseaux sociaux, on dénote aussi de nombreuses personnes affirmant vouloir boycotter le film Donjons et Dragons : l’honneur des voleurs qui doit sortir dans peu de temps (le 31 mars 2023 aux USA et le 12 avril 2023 en France). Avec ses projets de série télé et son idée d’univers étendu avec Paramount+, de quoi faire trembler Hasbro (propriétaire de WotC) !

Car personne n’est dupe : si l’OGL 1.1 est peut-être un brouillon, il montre clairement l’envie de l’éditeur de se faire un maximum d’argent sur le dos de sa communauté. Tout en revenant sur un document qui était censé être totalement immuable. Entraînant une perte de confiance énorme envers Wizards of the Coast.

Les joueurs n’ont – par exemple – pas hésité à se tourner vers d’autres licences plus sûres comme Pathfinder qui voit sa notoriété s’envoler. Le 26 janvier 2023, Paizo annonçait une rupture de stock de son édition du livre de règles de base de Pathfinder 2E. Un stock prévu pour durer huit mois, qui a été écoulé en finalement deux semaines !


La réponse de Wizards of the Coast

La réponse de Wizards of the Coast

Wizards of the Coast a pendant de longs jours pédalé dans la semoule. Pour vous résumer un peu, la première réaction de l’éditeur a été du style “lol non, mais en fait c’est juste un brouillon sur lequel on travaille”.

Mais surtout, cette réaction s’est faite plusieurs jours après la fuite du document en question. Nul doute que WotC a dû se tortiller les méninges pour trouver une réponse adéquate à la polémique.

Si l’OGL 1.1 est censé n’être qu’un brouillon non-officiel, Wizards of the Coast publie toutefois une proposition qui sera nommée OGL 1.2 et qui vient donc remplacer l’OGL 1.1. Au temps pour le brouillon non-officiel… Cette OGL 1.2 a pour caractéristique d’être en “open test”.

C’est-à-dire que cette version de l’OGL est en attente de retour des joueurs. Un test quoi. En théorie, WotC utilise l’open test pour essayer de nouvelles règles de jeu (par exemple One D&D). Ici, dans une “volonté d’ouverture”, la firme publie donc le document et un questionnaire annexe permettant aux lecteurs de laisser leur avis.

Une proposition insuffisante

Normalement utilisée pour s’assurer que les règles sont équilibrées dans une nouvelle version, l’idée de l’open test était de tâter le terrain et de voir quels points étaient bloquants. Globalement, l’OGL 1.2 restait problématique. Toutefois, c’est dans cette version que WotC a proposé de passer une partie des règles du SRD sous Créative Common (CC). Une licence sur laquelle ils n’ont aucun pouvoir.

Les plus cyniques feront cependant remarquer une chose : le système D20 est inclus dans la licence CC. Or, il est quasiment impossible de défendre devenant une cour de justice une propriété intellectuelle sur ce système de jeu.

En effet, le système D20 est tellement ancien qu’il est improbable qu’il ait été créé par Donjons et Dragons. Donc que WotC ait des droits dessus.

L’OLG 1.2 n’a donc pas suffi aux membres de la communauté Donjons et Dragons. Car cette communauté se rejoint sur un point : il n’est pas question de mettre en place une OGL revue, mais de laisser en place celle actuellement en place (soit l’OGL 1.0a).

Cette histoire connaît son dénouement le 27 janvier 2023, lorsque Wizards of the Coast publie un communiqué de presse via le compte Twitter de D&D Beyond.

Dans une ultime tentative de sauver les meubles, Wizards of the Coast annonce deux choses :

  • L’OGL 1.0a reste en place (sans modifications)
  • Le SRD 5.1 passe sous licence Creative Commons

Rapidement évoqué plus tôt dans cet article, le SRD regroupe en réalité la version de base de Donjons et Dragons. On y retrouve les règles pour créer un personnage, le système de jeu, certains monstres et certaines classes et sous-classes.

Certains lieux iconiques comme Baldur’s Gate ou Neverwinter sont évoqués dans le SRD, de même que les flagelleurs mentaux. Placer ce document sous une licence qu’ils ne possèdent pas est donc un vrai geste d’apaisement de la part de WotC. Ainsi qu’un évènement marquant dans le domaine du jeu de rôle !


Conclusion

Après presque un mois de combat sur les réseaux sociaux et dans les diverses sphères d’influence, la communauté de Donjons et Dragons – et par extension celle du jeu de rôle – semble donc avoir gagné. Cette victoire a cependant un goût amer pour beaucoup. En effet, elle a permis de mettre en lumière la manière dont Wizards of the Coast – et surtout Hasbro – semble considérer ses principaux consommateurs.

Les anecdotes à coup de remarques assassines ou de commentaires méprisants ont fleuri – notamment sur Twitter – rendant impossible le statut quo préexistant. Ainsi, malgré la concession de WotC, la licence ORC est toujours en projet, ainsi qu’un certain nombre d’autres jeux. On peut par exemple noter le Projet Black Flag de Kobold Press qui devrait bientôt être lancé en phase de test.

Un sentiment de trahison

Un sentiment de trahison

Cette bataille a largement entamé l’image, et même l’hégémonie, de Donjons et Dragons sur le marché du jeu de rôle.

Beaucoup de fans de D&D se sont sentis trahis. Les poussant ainsi à rechercher d’autres systèmes de jeu. Le délai de réponse de WotC jugé beaucoup trop long n’a pas aidé à retenir les fans. Beaucoup de produits, auparavant conçus comme des suppléments à la 5E, se veulent maintenant plus ouverts. Quoique toujours compatibles avec la 5E.

De plus, les éditeurs de contenu pour Donjons et Dragons sont conscients que les ambitions (monétaires) d’Hasbro sont toujours présentes. Le géant du jeu pour enfants a d’ailleurs été taclé par la Bank of America pour avoir “détruit la confiance des consommateurs” : l’institution financière a ainsi recommandé aux investisseurs d’être prudents avec la multinationale.

Le meilleur moyen de résumer les conséquences actuelles de cette tentative de WotC est probablement de reprendre et de traduire ici une blague qui tourne dans le monde des éditeurs de jeux de rôles : “nous avons passé deux décennies à essayer de convaincre les joueurs de Donjons et Dragons de tenter autre chose. Wizards of the Coast l’a fait en un mois.”

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